Cher Inconnu,
Je ne te connais pas, pourtant je suis déjà en colère contre toi. Vendredi soir, alors que j’étais à deux pas derrière toi, tu n’as daigné trouver un moyen d’entrer en communication avec moi. Tout ce que tu as su faire, c’est te retourner toutes les 30 secondes en faisant mine d’observer l’entrée du bar puis de jeter un regard sur moi. Je le sais, je t’ai vu. Au début, j’ai pensé que je me faisais des idées, puis j’ai attendu que tu refasses ton petit manège, je t’ai regardé dans les yeux et ton regard a croisé le mien. J’ai pensé que ça suffirait à te faire comprendre que le feu était VERT, mais non tu n’as rien fait. J’ai même changé de place pour me rapprocher de toi, j’étais juste derrière ton ami, donc vraiment à portée de main et rien. Tu m’as vue faire, tu t’es même baissé pour que je puisse bien apprécier la performance de Mélissa Laveaux, puis tu t’es relevé sûrement parce que c’était inconfortable et peut-être parce que tu t’es dit que ça allait être difficile à justifier auprès de tes amis.
En fait, c’est à moi que j’en veux, j’aurais aimé te confronter. C’est fou parce que sur le coup, j’étais hyper intimidée et le mieux que je pouvais faire c’était de te regarder dans les yeux et d’essayer de te dire : oui je te vois, oui je veux communiquer et maintenant deux jours plus tard j’ai tout plein d’idées sur ce que j’aurais pu dire ou faire.
J’aurais pu m’arrêter jusqu’à toi et te dire : « Est-ce que tu essayes d’entrer en communication avec moi ou j’ai rêvé ? ». Quelle aurait été ta réaction ? Et si j’avais demandé au barman un papier et un stylo, que j’avais écrit mon mail et mon numéro dessus et te l’avais tendu, serais-je dans tes bras à l’heure qu’il est ? Mais où diable se trouvait mon cerveau à ce moment-là ?
J’étais pas sûre que tu me regardais parce que tu es arrivée avec un garçon et deux filles, pour moi vous étiez assurément deux couples. Avec le recul, en repensant à ton comportement ce soir-là, je réalise que ce n’était pas le cas, que ça tombait sous le sens et que j’aurais dû tenter ma chance. Mais pourquoi faut-il toujours que j’aie si peur ? Pourquoi faut-il toujours que je n’en revienne pas qu’on puisse s’intéresser à moi ? Quand est-ce que ça va cesser ? Je veux dire, je m’entends de mieux en mieux avec mon corps, j’arrive même à me trouver belle parfois, sans maquillage, ce n’est pas encore l’amour fou, mais ça va. Et puis, pourquoi personne ne se donne du mal pour moi ? Pourquoi personne ne se bat pour moi ?
Je crois que j’avais oublié ce que c’était de se faire draguer, cette sensation de provoquer chez autrui comme une fascination et une envie forte de rapprochement physique. Je crois qu’à Paris ça ne m’arrivait plus ou peut-être étais-je trop occupée à me renfermer dans ma carapace pour me protéger des autres, des déceptions. A Paris, j’ai aussi tant utilisé les applications de rencontres que j’avais oublié que la drague non forcée pouvait aussi m’arriver. J’avais oublié que ça pouvait être plaisant quand c’est fait avec respect. Et j’avais oublié comme c’est frustrant quand chacun demeure dans son incertitude.
Cher Inconnu, tu n’es pas le premier, tu ne seras pas le dernier, mais je ressens une telle frustration, tu n’as pas idée. Toi tu as poursuivi ta soirée, tu as repris le cours normal de ta vie, tu es peut-être même tombé dans les bras d’une autre fille, plus avenante. Alors que moi, depuis ce vendredi soir je suis pétrie de regrets. Pourtant je m’étais promis qu’on ne m’y reprendrait plus après avoir vécu un échec similaire en janvier dernier. Pour le coup, le garçon en question avait été plus explicite que toi. Il m’a fixé du regard avec insistance jusqu’à ce que je croise le sien et m’a souri. C’était on ne peut plus clair. Ca m’a tellement déboussolée que j’en ai fait tomber mon bonnet et il s’est empressé de le ramasser. Puis, sans doute parce que je n’ai pas tellement réagi, il a passé son chemin. J’étais tétanisée, comme une adolescente qui découvre son pouvoir sur les garçons. Ca fait si longtemps que je suis seule, j’ai l’impression d’avoir perdu les codes, le langage, cette-fois là je me suis refermée comme une huître. Mais pas vendredi soir ! Alors, pourquoi n’as-tu pas pris le risque de venir me voir ? Au risque de te voir opposer un refus ? Et après ? Who cares ?
Je regrette tellement que je me suis mis en tête de te retrouver. Ca aussi, je l’avais fait pour le garçon de la soirée de janvier, je l’ai « stalké » et retrouvé en moins de 5 minutes sans même connaître son prénom, en fouillant dans la liste de contacts de son ami avec qui j’avais discuté 5 minutes durant la soirée. J’ai mis 2 jours avant de lui envoyer une demande d’ajout, il m’a royalement ignoré parce qu’il ne m’a pas reconnu ou ne s’est pas souvenu de notre échange de regards ou peut-être a-t-il pensé que j’étais un faux compte ou peut-être qu’il ne voulait juste pas. Après tout, imaginez une fille qui vous ignore en soirée mais qui s’empresse de vouloir devenir votre amie virtuelle. En plus, nous n’avons pas d’ami commun, ce qui a dû me desservir. Je comprends d’autant plus que dans le cas inverse, si j’avais reçu une demande d’ajout d’une personne avec qui je ne partage pas d’ami, je n’y aurais pas répondu, d’ailleurs j’ai paramétré mon Facebook de façon à ce qu’on ne puisse m’envoyer une demande d’ajout que si on a des amis communs. L’arroseur arrosé. Du coup, en pensant à tout ça, je lui avais envoyé un message pour lui rappeler le contexte. Puis, je me suis rappelée que sur Facebook, quand on envoie un message à une personne qui n’est pas notre « ami », le message tombe dans les spams et n’est visible que sur un ordinateur dans un onglet peu visible et non sur l’application Messenger. Autant dire qu’il ne tombera jamais sur mon message ou qu’il le découvrira en riant dans quelques années.
Toi aussi cher Inconnu croisé au Moussonneur, j’ai entrepris de te retrouver, tout en réalisant le ridicule de la situation. C’était comme obsessionnel. J’ai passé en revue plusieurs listes d’amis jugées pertinentes sur la base de critères très personnels tels que : untel connaît tout Rimouski ou encore il doit être étudiant, elle est étudiante, ils doivent se connaître et aussi : elle fait partie de la gang de hippies, il a des cheveux longs, un bonnet, une barbe, il doit en être aussi. Ca n’a pas marché cette fois, je ne t’ai pas retrouvé et tant mieux. Comment je l’aurais justifié ? Hey ça fait deux jours que je te cherche partout parce que je crois que tu m’as matée au Moussonneur et ça me hante, on va boire un verre ? Ca pourrait t’effrayer. Donc j’essaie de me résoudre petit à petit à l’idée que je ne te reverrai pas et que ce n’est pas grave, qu’il y aura d’autres crushs (un par mois a priori), mais ça me fait chier. T’avais l’air si chou, si doux. Encore mieux que le mec de janvier.
J’essaie de m’accrocher à ça, de me dire que si toi tu étais encore plus beau, plus chou que le premier alors sans doute que le prochain crush sera encore plus fabuleux et peut-être même qu’il viendra me parler (soyons fou). En tout cas, après la soirée de vendredi, j’ai noté sur un bout de papier mon prénom, mon mail et mon numéro de téléphone et je me suis promis que si je te revoyais je te le tendrais. On ne m’y reprendra plus !