Cher Journal

La résistance

15 septembre 2021
Le temps

Je crois que j’en ai plus rien à faire des conventions, sinon comment expliquer qu’après près de 10 jours sans nouvelle de mon match Tinder, ce soit moi qui sois revenue à la charge ? Alors même que la fin de notre conversation laissait entendre que c’était à lui de rebondir, il avait un boulevard pour le faire (pour info, je parlais déjà de lui ici).

Mais, j’ai préféré n’écouter que mon instinct qui me laissait à penser que ce mec est une belle personne. J’ai aussi remarqué que sur les applis et même sur les réseaux sociaux en général, on peut avoir une vision très restreinte du temps, par exemple on va s’inquiéter de ne pas avoir de réponse dans les 24 heures, ou dans la soirée, ou dans les 2 heures, voire dans les 10 minutes, comme si 10 minutes correspondaient à une demi-journée d’autrefois. On va considérer que ne pas avoir de réponse rapidement, c’est être laissé en « vu », c’est très mauvais signe et c’est généralement vrai parce que c’est si facile de zapper : quelques swipes à gauche, puis à droite, un match et on recommence. Pourtant, connaître quelqu’un prend du temps que l’époque ne nous accorde plus ou si peu, si on ne fait pas attention. Dans ce contexte, prendre son temps est presque une forme de résistance. J’aimerais tendre vers cette résistance, je sais aussi que j’ai beaucoup d’imagination et que si je me trouve au beau milieu d’échanges plaisants, je vais fabriquer un personnage dont l’enveloppe réelle me décevra, souvent. Alors j’aime bien sortir du virtuel rapidement, ce qui n’empêche pas de prendre son temps. Celui avec qui j’échange est, je pense, de ces résistants, ou alors il a juste la flemme mais je me dis que je finirais par le démasquer tôt ou tard si c’était le cas.

Ce jour-là, je viens donc aux nouvelles en lui demandant s’il a regardé la série dont on avait parlée. Il me répond quelques minutes plus tard, il m’explique qu’il a été tellement débordé qu’il n’a pas eu le temps. Ça peut ressembler à une excuse foireuse, mais au vu du contexte qu’il m’a partagé, ça peut se comprendre : Il est enseignant, cette année il fait sa première rentrée à un niveau de classe très différent de celui qui lui était dévolu jusqu’alors, quand j’ai commencé à échanger avec lui fin août il était déjà occupé à préparer sa rentrée et évidemment le travail ne s’arrête pas le jour de la rentrée, ce qui fait qu’il a toujours des choses à faire pour l’école. De là à ne pas avoir 5 minutes pour répondre à son match Tinder favori, mouais me direz-vous ? N’empêche moi j’y crois à l’histoire de l’enseignant débordé, mais ce que je n’avais pas anticipé c’est à quel point ça influerait sur son agenda et donc ses disponibilités.

Je n’ai pas eu l’impression de le déranger ou de l’emmerder, il m’a répondu très gentiment, m’a demandé comment j’allais, etc. Le fait d’apprendre que nous habitons tout près l’un de l’autre a semble-t-il déclenché un regain d’intérêt de sa part, je l’ai senti plus entreprenant, plus impliqué et nos échanges sont devenus plus intéressants, moins formatés. Il m’a demandé si j’avais toujours vécu à Paris, là où d’autres se seraient empressés d’un « t’es de quelle origine ? » qui m’aurait braquée. Il a pris soin de ne jamais être trop intrusif, j’ai tâché d’en faire de même, il a préféré me questionner sur mes passions plutôt que mon métier, on a parlé lecture, d’écriture même alors que je n’en parle jamais. On a parlé différences de tailles aussi, du fait que j’indique ma haute taille sur mon profil, il m’a fait comprendre qu’il s’en fichait que sa copine soit plus grande que lui. Bien sûr, il n’est pas parfait, il a tenté une blague douteuse quand j’ai dit que j’aimais dormir, mais en voyant que je ne rentrais pas dans le jeu il n’a pas insisté. On s’est écrit plusieurs jours d’affilée, j’ai eu le sentiment que chacun répondait quand il pouvait, aussi bien dans les 5 minutes, que quelques heures plus tard voire le lendemain. Une fois, j’étais du côté de Montpellier pour un mariage, je lui en ai parlé, là encore j’ai marqué des points sans le faire exprès : il y a vécu et connaît bien la région, il était ravi d’en parler, il est même venu aux nouvelles à la fin du week-end, c’était chouette.

Puis, on a parlé de se voir, enfin. J’avais tenté de proposer un jeudi, mais on a finalement opté pour le week-end qui semblait plus simple. On a convenu du lieu où on se retrouverait et du moment de la journée : samedi en fin d’après-midi, après l’anniversaire du fils d’une de ses amies. Vendredi, il m’a demandé si on pouvait reporter à dimanche parce que ses collègues prévoyaient de boire un verre après l’anniversaire, finalement dimanche en début d’après-midi, il a demandé à ce qu’on reporte à « une autre fois » parce que le verre de la veille s’était prolongé jusque tard, qu’il était épuisé et qu’il avait encore beaucoup de choses à faire pour l’école. Ah l’école. C’est le « une autre fois » qui m’a contrariée, il aurait pu dire dans la semaine ou le week-end prochain, là ça ressemblait à une façon polie de m’envoyer bouler. Alors j’ai répondu que j’allais finir par croire qu’il n’avait plus envie (pour ne pas dire la flemme, mais je l’ai pas écrit) mais que j’étais d’accord évidemment, à part ça. Il a répondu « non ce n’est pas ça, ça tombe juste mal mais on va trouver un autre moment ».

Ça c’était dimanche et depuis je suis sans nouvelle de mon résistant.

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