Cher Journal

Ils sont tout ce dont je rêve sauf toi* – Chapitre 1

1 décembre 2018

Chapitre 1 : Le trouble

Je t’ai rencontré un matin de septembre, tu venais d’un autre lycée, tu redoublais. Dans ton ancien lycée, tu côtoyais ma Cam, notamment parce que son meilleur ami était aussi l’un de tes proches. Tu me parlais d’elle, de lui, de leur amitié et je crois que c’est ce qui nous a rapproché. Très vite, je suis devenue ta confidente, tu me parlais de tout, parfois même de choses que j’aurais préférées ignorer. Tu m’interpellais à tout va pendant les cours, on peut dire que tu te donnais du mal pour attirer mon attention. Alors, les rumeurs fusaient, ça ne faisait pas de doute : on sortait ensemble, du moins ça n’allait pas tarder. Un jour, on m’a même rapportée qu’on nous avait surpris en train de nous embrasser sur la bouche. L’affaire était entendue.

A vrai dire, ça m’amusait. Je n’ai pas souvenir de t’avoir trouvé beau la première fois que je t’ai vu, en revanche je me rappelle très bien que tu m’impressionnais. Tu avais cette présence qui ne me laissait pas indifférente. Faut dire que tu en imposais. Tu étais très grand, plus grand que moi, fait assez rare à une époque où je dépassais presque tout le monde d’au moins une tête. Tu avais la carrure d’un sportif et pas que la carrure car tu étais un sportif émérite, apprécié des amateurs et reconnu par ses pairs. Ca pouvait arriver qu’on parle de toi dans la presse locale. Tu me faisais rire, tu n’avais pas peur du ridicule, tu te fichais bien de ce que les autres pensaient de tes manigances, tu connaissais tout le monde ou plutôt tout le monde te connaissait, via le sport surtout. Tu étais populaire et j’étais fière, mais sans doute trop pour te le dire, qu’on nous imagine ensemble.

Toi aussi tu aimais bien l’idée, parfois tu en jouais, sous couvert d’humour, tu remettais une pièce dans la machine à rumeurs tandis que je levais les yeux au ciel ou que je faisais non de la tête d’un air entendu. La mise en scène était parfaite. En réalité, j’étais intimidée et j’essayais de le cacher. J’avais peur L., je revenais de loin. Avant toi, il n’y avait rien, avant toi les garçons soit ignoraient mon existence, soit la méprisaient. Avant toi, le seul garçon qui s’est publiquement déclaré intéressé par moi a changé d’avis 3 jours plus tard. Dans ce contexte, comment aurais-je pu décemment imaginer qu’un garçon aussi populaire que toi, qui plus est plus âgé (d’un an certes, mais à nos âges ça représentait beaucoup) donc encore plus cool, puisse s’intéresser sérieusement à moi ? Je sentais que tu m’aimais bien, mais je n’osais pas y croire. Mon estime de moi était proche de zéro, je ne m’aimais pas. Je me demandais : pourquoi moi ? Tu n’avais aucune difficulté à t’entourer de jolies filles, qu’est-ce que j’aurais bien pu t’apporter de plus ? En plus, j’étais élevée dans un environnement semé d’interdits, les garçons c’était le mal et je n’avais pas le droit de sortir en boîte, contrairement à toutes ces filles cool que tu côtoyais les week-ends. D’ailleurs, je me serais volontiers passée de certains détails intimes que tu tenais à partager avec moi.

Faut dire que parfois je prenais un air si (faussement) détaché que tu pouvais légitimement croire, au bout d’un moment, que je ne voulais que de ton amitié. Parce que j’étais sûre que tu pouvais trouver mieux, parce que j’avais peur de ne pas savoir quoi faire au moment où… Je me rappelle de ce mercredi matin où tu m’as proposée d’aller passer l’après-midi chez toi, il fallait prendre un bus pour aller jusqu’à ta maison ou peut-être avais-tu déjà une voiture, je ne sais plus. Le fait est que j’avais déjà rendez-vous avec une amie cet après-midi là, je ne voulais pas l’abandonner sans prévenir ou en la prévenant à la dernière minute et peut-être aussi que ça m’arrangeait. Je me rappelle avoir vraiment hésité et y avoir beaucoup pensé après coup. Je l’avais raconté à mon amie, pour elle c’était une occasion à ne pas manquer, notre après-midi shopping aurait bien pu attendre. A vrai dire, je crois que même sans ce rendez-vous avec elle, je ne serais pas venue. C’était un peu trop gros à endurer comme première sortie ensemble pour mon petit cœur. Et en même temps, je me dis que si tu avais retenté ta chance une ou deux fois, j’aurais fini par me sentir « prête » et j’aurais dit oui. Mais tu ne pouvais pas savoir.

On n’a jamais reparlé de cette invitation, tu n’as pas réitéré. Tu n’avais même pas insisté quand tu m’as invité ce jour-là. C’est une chose que j’aimais bien chez toi, tu me respectais et tu avais conscience de l’importance du consentement. Quand je disais non, c’était non. Tu aurais tellement pu profiter de la situation, tenter de prendre l’ascendant sur moi et tu ne l’as pas fait. C’est un comportement qui va de soi je sais bien, mais ça m’est si peu arrivée par la suite que j’en oublie parfois l’évidence. Un jour, tu t’es penché vers moi en souriant en faisant comme si tu étais sur le point d’embrasser mes lèvres, je n’ai pas fait les 30% du chemin restant et tu as continué à me sourire, l’air de dire que c’était pas grave. Il n’y avait pas de rage, pas de colère. J’aimais notre relation car elle était platonique et c’était tout ce dont j’avais besoin à cette époque-là, de la tendresse, du réconfort, je n’étais pas capable de te donner autre chose. Je me rappelle que tu voulais tout le temps me prendre dans tes bras. Au début, je ne comprenais pas très bien, puis j’ai aimé ça. Je viens d’une famille où ni les mots d’amour ni les gestes d’amour n’ont de place, bien au contraire. Et toi tu as déboulé dans ma vie avec tout cet amour à donner sans attendre de contrepartie, le choc des cultures fut rude.

Avec toi, j’ai expérimenté les prémices d’une relation amoureuse. Je me suis découverte jalouse et tu n’as pas manqué de le remarquer et de me le faire remarquer. Car, oui, tu savais très bien L. que j’en pinçais pour toi, pourtant tu ne m’as jamais pris entre quatre yeux pour me dire : hey R. on passe beaucoup de temps ensemble, je t’aime bien, je crois que toi aussi, allons boire un verre, allons au cinéma… Tu avais de l’expérience toi. Pourquoi ?

Ah si, un jour, pendant les vacances de Noël, tu m’as invitée au cinéma, j’étais stressée mais tellement contente et puis tu as débarqué avec ta clique de copains… Sympa pour un premier rendez-vous… Evidemment, il ne s’est rien passé. Plus tard, tu en as reparlé en classe devant les autres et tu regrettais. Encore un rendez-vous manqué… J’ai l’impression que c’était beaucoup ça entre toi et moi. Mais surtout, il y avait toujours une autre fille dans les parages. Un jour, un mercredi après-midi, je t’ai croisé dans la rue avec l’une d’entre elles, j’ai été odieuse, je ne lui ai adressé ni un mot ni un regard. Il n’y en avait que pour toi. Je ne m’en suis même pas rendue compte sur le coup. Le lendemain, en classe, tu me l’as fait remarquer en souriant, tu m’as dit que vous étiez ensemble depuis quelques jours et tu m’as fait comprendre qu’elle ne comptait pas, tu m’as demandée : « tu veux que je la largue ? » Je n’ai pas répondu. Qu’aurais-je pu dire ? Ce n’est pas la meilleure idée que tu aies eue… Quelques jours plus tard, un samedi, je t’ai à nouveau croisé au centre-ville, seul et tu as tenu à me dire que c’était fini avec la fille de l’autre fois, tu l’avais larguée. Je n’ai pas sauté de joie, mais j’étais ravie évidemment.

* Extrait adapté de Va, Corneille

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