Chapitre 2 : La dispute
Puis il y a eu cette autre fille, elle c’était du sérieux. Je l’ai compris rapidement et ça m’irritait de t’entendre me parler d’elle comme si de rien était, comme à une meilleure amie. Elle, tu n’avais pas l’intention de la larguer pour me faire plaisir. Tu m’as parlée de la première fois où vous avez fait l’amour, sans détail, mais le seul fait de le savoir, c’était déjà trop. Alors, comme je n’arrivais pas à t’exprimer verbalement mon agacement, j’ai commencé à devenir exécrable. Je suis devenue très désagréable, je ne sais plus comment exactement, mais je me souviens que tu ne comprenais pas mes réactions. Un peu comme être en plein syndrome prémenstruel et avoir envie de tuer tout le monde. Un jour, alors que tu étais au téléphone avec le meilleur ami de ma Cam, j’ai cru comprendre qu’il te disait qu’elle n’était pas très sympa avec lui en ce moment, tu lui as dit que moi non plus je n’étais pas sympa avec toi et tu as ajouté quelque chose comme : « Elles doivent avoir leurs règles ! », ce qui m’a encore plus énervée. J’étais hyper froide comme je sais si bien l’être quand j’ai quelque chose sur le cœur et que je ne parviens pas à l’exprimer et j’ai fini par dire quelque chose qui ne t’a vraiment pas plu, mais vraiment pas. La guerre était déclarée, tu ne m’adressais plus la parole. C’était l’enfer, je culpabilisais beaucoup, j’étais malheureuse et je ne savais pas comment arranger ça. Je t’avais vraiment piqué très fort. Je suis incapable de me rappeler des mots que j’ai employés mais je sais que c’est une de ces phrases qu’on ne voit pas venir et qui, de par leur caractère inhabituel et inattendu, rendent leur impact encore plus fort qu’on ne le voudrait. Je le sais parce que c’est le reproche qu’on me fait souvent. C’est un truc qui est souvent associé aux Scorpions, tu aurais pu t’en douter…
Car tu es né un an et un jour avant moi et nous partageons le même signe astrologique. J’aime à croire qu’on ne s’est pas rencontrés par hasard et que ce signe astrologique commun n’y est pas pour rien dans la grande complicité qui nous liait. Parfois, quand je n’ai pas envie de donner ma vraie date de naissance sur internet et qu’elle est exigée, pour des cadeaux d’anniversaire ou autre, il m’arrive encore d’utiliser la tienne, parce que c’est facile à retenir, au cas où. En dehors de ça, c’est assez rare que je pense à toi. Ca m’arrive à chaque fois que je suis dans la ville où on s’est rencontrés, tout comme plein d’autres souvenirs de ma jeunesse remontent toujours à ce moment-là. C’est pas juste toi, en plus je n’y vais que rarement. Ca peut m’arriver aussi quand je vois Cam, là-bas généralement, mais on ne parle jamais de toi et c’est très bien comme ça. Je me demande parfois où tu en es, si tu as des enfants, si tu es heureux dans ta vie qui semble si bien rangée, ce genre de choses.
Il y a quelques années, j’ai eu un début de réponse quand tu m’as retrouvée et demandée à être ajoutée sur ma liste de contacts LinkedIn. J’ai trouvé ça fou, non pas que tu me cherches sur ce réseau, mais que tu m’y trouves. On n’y a aucun contact en commun (encore aujourd’hui), la ville dans laquelle on s’est connus n’est pas mentionnée dans mon profil, encore moins le lycée et surtout je doute que tu te sois rappelée de mon nom de famille après tout ce temps. C’est pas tant qu’il est compliqué, mais il est du genre très original, de ceux qu’on ne croise qu’une fois dans une vie. En plus, je n’étais pas sur la photo de classe, donc ça ne peut pas venir de là non plus. J’imagine que tu as écris mon prénom et le nom de l’université dans laquelle tu savais que j’avais étudié. J’avoue que ça m’a bien intriguée et que j’aimerais bien savoir comment tu as fait. Tu m’as parlée de ton parcours professionnel plus qu’honorable, je t’ai parlé du mien, on a soigneusement évité le sujet « vie personnelle », en même temps ce n’était pas le lieu, non ? Tu m’as dit que tu venais de temps en temps à Paris et que tu ne manquerais pas de me prévenir lors de ton prochain passage. Mais, je n’ai plus jamais entendu parler de toi…
J’avais oublié que tu ne tenais pas tes promesses. Tu m’avais dit quelque chose d’assez semblable quelques années auparavant quand je vivais à Toulouse. Je t’avais déjà attendu bredouille. Pour le coup, cette fois ça m’arrangeait, car j’appréhendais. Se revoir après tout ce temps et puis quoi ? Pour que tu me racontes que tu es toujours avec cette fille avec qui je te croisais parfois au lycée et que ça fait plus de 10 ans que ça dure, tandis que je te parlerais de ma vie personnelle chaotique, de tous ces garçons qui m’ont humiliée, qui ne m’ont pas respectée parce que je ne me respectais pas, parce que je ne m’aimais pas. Faudrait-il que je te raconte ma première fois désastreuse que j’essaie chaque jour d’oublier un peu plus, de ceux qui m’ont utilisée comme une fille de transition entre deux relations, de celui qui, sur un site de rencontre, a jugé utile de me dire que je tombais bien car il n’avait jamais essayé avec une noire, de ceux qui n’ont vu en moi qu’un divertissement, de cet homme avec qui j’ai cru que ce serait différent, mais qui n’a jamais vu qu’une amie voire une sœur en moi… Ou bien que je te raconte ma vie professionnelle ? Alors oui,j’ai fait ce qu’on attendait de moi, des études supérieures et j’ai obtenu un joli diplôme à accrocher. Oui, mais depuis je navigue d’une boîte à l’autre sans grand enthousiasme à la recherche de ma vraie place dans cette société confuse. C’est pour ça que récemment j’ai décidé de prendre le large et de partir presque sur un coup de tête au fin fond du Québec.
Aujourd’hui, je serais moins gênée de te revoir. J’ai fait du chemin, j’ai lu, j’ai parlé, j’ai écouté, j’ai appris. Mon parcours professionnel n’est pas parfait, mais je n’en ai pas honte, bien au contraire et les éventuelles remarques de mon amoureux d’il y a quinze ans n’y pourraient rien changer. Quant à ma vie personnelle, j’ai arrêté de chercher à tout prix LE bon, celui qui va tout changer, j’ai cessé d’enchaîner les conversations avec des garçons pour avoir un truc à raconter aux copines, pour me prouver que j’y mettais du mien, parce qu’il y a toujours un petit espoir, si ça a marché pour elle ça pourrait marcher pour moi aussi si j’étais plus assidue, si je parlais davantage à ce type de garçons, si j’étais plus ceci et moins cela, pour finir par réaliser que ces applications ne me correspondaient pas, du moins pas dans l’état d’esprit qui était le mien, à savoir que j’en attendais beaucoup. Puis, j’ai arrêté de chercher. J’ai admis que le célibat faisait partie intégrante de ma vie et que ce n’était pas grave, ce n’est pas un drame. Ca a ses bons côtés, ça permet de faire littéralement ce qu’on veut sans conséquence pour autrui, comme improviser un départ à l’étranger en quelques mois ou démissionner sans avoir trouvé de nouveau travail. Etre célibataire, ce n’est pas nécessairement être seul, on peut être intégré à un clan, une association, etc., là où certains couples ne vivent parfois qu’à l’intérieur de leur couple. Bien entendu, j’adorerais être en couple, ça m’aurait plu de partager ce coucher de soleil l’autre soir avec un amoureux ou ce plat que j’aime tant, j’aurais aimé trouver des bras réconfortants quand j’ai appris cette mauvaise nouvelle l’autre jour, mais le fait est qu’aujourd’hui je suis célibataire, il se peut que cette situation dure encore longtemps, alors autant s’en accommoder. Evidemment, il y a des jours sans, mais ça va.
* Extrait adapté de Va, Corneille
Crédit photo : Photo by Erik Witsoe on Unsplash